dimanche 10 janvier 2010

LES LIMITES DES POLITIQUES D'INTERCEPTION SATELLITAIRES FACE AUX NOUVEAUX MODES OPÉRATOIRES TERRORISTES


En pleine guerre ouverte contre le terrorisme international, il est difficile d'évoquer les interceptions sans imaginer immédiatement de grandes paraboles dressées vers le ciel, écoutant les satellites de communications orbitant autour de la terre.

Dans ce contexte, parler de transmissions en ondes courtes au XXIe siècle peu paraître pour le moins désuet. Alors que tout le monde surfe sur Internet, envoie des e-mails aux quatre coins de la planète, le téléphone portable collé à l'oreille, nous serions en droit de croire que les procédés de transmission utilisant les ondes courtes sont devenus obsolètes. D'autant que même les services étatiques d'écoutes ne parlent plus que d'interceptions satellitaires par lesquelles transiteraient la majorité des communications privées, professionnelles ou encore officielles mondiales. D'ailleurs ceux qui ont eu l'occasion d'approcher des installations d'écoutes, en Europe comme aux États-Unis, ont pu observer le changement rapide des antennes qui ne sont plus composées que de paraboles et autres radômes. Un signe qui ne peut tromper un œil averti.

Pourtant certaines informations tendraient à réfuter cette thèse et, plus grave encore, laisseraient supposer que les services chargés des interceptions se seraient fourvoyés en misant sur le « tout satellite ».

La persistance des communications clandestines en ondes courtes (HF)

A titre d'exemple, souvenons-nous du cas de cette analyste américaine de la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine arrêtée par le FBI, le 21 septembre 2001. Ana Belen Montes, 44 ans, avait rejoint la DIA en 1985. D'après les enquêteurs, elle fournissait des renseignements aux services cubains depuis 1996. Le résultat de l'enquête menée après son arrestation a montré qu'elle recevait ses instructions grâce à un récepteur radio ondes courtes :

Authorities declined to say what led them to focus on Montes or how they believed she became associated with the Cuban government. They said she communicated with her Cuban handlers via shortwave radios, computer diskettes and pagers, methods employed by a Cuban spy ring based in Florida - known as the Wasp Network - that attempted to infiltrate Cuban exile organizations and U.S. military installations2.

Avant l'ère du satellite, ce type d'émission constituée par la diffusion de groupe de chiffres énumérés par une voix synthétique, a été longtemps une des priorités des services d'écoutes de tous les pays. Il était clairement établi que ces émissions chiffrées étaient destinées aux agents clandestins infiltrés en pays ennemis. D'ailleurs on pouvait fréquemment les entendre dans différentes langues, allant du russe à l'allemand, en passant par le roumain, le bulgare, le tchèque, l'anglais et même le français. Le système permettait ainsi à l'agent infiltré de recevoir, en toute discrétion, directives et autres messages de sa centrale. Durant la Guerre froide ce type de transmission foisonnait. Après 1989 et la chute du mur de Berlin, suivi de peu par celle de l'Union soviétique, ces émissions cessèrent. Les services d'écoutes occidentaux dont l'objectif principal était le monde communiste, durent revoir leurs priorités.

A la même époque, le grand public apprit l'existence du réseau Echelon, capable d'intercepter toutes les communications téléphoniques et autres courriers électroniques. Les réactions de nombreux Etats furent immédiates. Après l'attribution des crédits nécessaires, de nouvelles antennes se déployèrent et se mirent à traquer les satellites, comme le faisaient nos alliés les Américains. Petit à petit les ondes HF, appelées traditionnellement ondes courtes, furent donc délaissées.

Or, de plus en plus fréquemment, des radioamateurs passionnés par ce type de communication, rapportent que les transmissions de chiffres - appelées outre-Atlantique Numbers Stations - reprennent leurs activités. Cela suffit, semble-t-il, à changer les orientations techniques des grands services SIGINT. D'autant qu'une partie du matériel HF a été remisé. Pourtant, le cas Ana Beles Montes démontre une nouvelle fois, que suivre aveuglément l'exemple américain n'est pas forcément un gage de réussite.

Comment Al-Qaeda déjoue les interceptions américaines

La lutte contre le terrorisme est un autre exemple flagrant d'une certaine inadaptation des politiques d'interception actuelle. Non seulement le fait d'avoir tous les téléphones de la planète sur écoute n'a pas permis aux Américains de capturer Oussama Ben Laden3, mais cela a encouragé les terroristes à éviter ce type de transmission au profit de moyens radioélectriques traditionnels (spectre HF), aujourd'hui délaissé par les grands services d'interception.

Un des premiers à l'avoir signalé est Georg Klingenfuss, un ressortissant allemand, spécialiste de l'écoute radio, qui publie régulièrement des recueils de fréquences et autres manuels de codes. Sur son site Internet, il n'hésite pas à indiquer, capture d'écran à l'appui, que les réseaux terroristes tels qu'Al-Qaeda communiquent grâce aux ondes courtes. Il cite pour exemple les nouveaux systèmes de transmission permettant l'acheminement d'e-mails par radio, utilisés par les ONG, notamment le Comité international de la Croix Rouge (CICR). Or, certaines ONG opérant en Afrique et en Asie, se seraient fait dérober plusieurs de ces émetteurs. D'autre part la radio bulgare a fait état, par le passé, d'une information selon laquelle des membres d'Al-Qaeda se seraient procurés, au Japon, du matériel performant de radiocommunication HF.

Un nouvel élément vient corroborer cette théorie. Il a été publié le 2 janvier 2006 par la presse privée algérienne. Il s'agit de la capture d'Abou Billel El-Oulbani, présumé représentant d'Al-Qaeda pour la région Afrique et Maghreb. Lors de son arrestation par les forces de sécurité algériennes, il a été découvert une « station radio UHF ultrasophistiquée » installée dans une maison abandonnée au sommet d'une colline. Celle-ci aurait été utilisée pour communiquer avec les différents réseaux d'Al-Qaeda en Afrique.

Il est important de noter qu'il s'agit d'une station UHF (Ultra High Frequency, ou ultra haute fréquence), c'est-à-dire utilisant des fréquences qui, en fonction de la topographie et des puissances utilisées, offrent une portée dépassant rarement la centaine de kilomètres. Si cette station était bien utilisée pour transmettre sur de plus longues distances cela indiquerait l'utilisation d'un procédé bien connu des radioamateurs. Il s'agit d'un système alliant l'Internet et la radio. Une hypothèse rendue encore plus vraisemblable quand on sait que parmi les objets saisis, figurent 3 ordinateurs portables. Il suffit pour cela de relier ladite radio à un ordinateur équipé d'un logiciel spécifique. De tels programmes existent et sont même gratuits. Développés par des radioamateurs, ils permettent ainsi de communiquer dans le monde entier à travers des réseaux privés reliés à Internet et interconnectés entre eux. Ce système permet de transmettre de deux manières. Soit à partir d'un ordinateur connecté à Internet qui activera un émetteur récepteur implanté n'importe où dans le monde. Soit à l'inverse, grâce à un émetteur-récepteur, il sera possible de se connecter à un ordinateur relié à Internet qui fera transiter la communication à l'autre bout de la planète si besoin est.

Concrètement, Ben Laden pourrait très bien donner ses instructions au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien à partir d'un cybercafé de Jalalabad, sa voix étant retransmise par un émetteur situé sur les hauteurs d'Alger. Et cela avec très peu de moyens et de manière très discrète, puisque la majeure partie des services d'écoutes étatiques, suivant l'exemple américain, a délaissé les traditionnelles écoutes radio, au profit de l'interception satellitaire.

Un procédé particulièrement discret

Ce système de transmission a la particularité d'utiliser différents procédés. Tout d'abord la partie transitant par Internet allie la technologie dite Peer to Peer et la téléphonie IP, rappelant à la fois les techniques utilisées pour le partage des fichiers audios (MP3 et autres) et la téléphonie via Internet. Sachant qu'actuellement les services officiels en sont à la définition des normes d'interception de telles communications et qu'ils ont fixé un délai de 18 mois aux fournisseurs d'accès pour leur fournir la possibilité technique de procéder à des interceptions légales, il ne fait aucun doute que ce procédé offre une grande sécurité pour ses utilisateurs.

La seconde partie utilise les ondes radioélectriques traditionnelles. Bien que les interceptions radios aient considérablement diminué, le risque d'être écouté demeure. Cependant, si l'émission radio sert uniquement à donner des instructions à des activistes déployés sur le terrain, elle peut se faire à partir de stations isolées ne comportant qu'un ordinateur et une radio, un ensemble totalement autonome. D'ailleurs en ce qui concerne la découverte opérée par les forces algériennes, l'installation se trouvait dans une maison abandonnée. On peut facilement imaginer que les terroristes utilisent plusieurs stations relais. Seuls ces émetteurs sont susceptibles d'être détectés par les services d'écoutes, les destinataires pouvant se borner à recevoir leurs instructions sans émettre eux-mêmes. De plus de nouvelles stations radios associées à un ordinateur portable peuvent être facilement et rapidement déployées. Il est donc aisé pour les logisticiens de remplacer une installation découverte par les forces de sécurité et maintenir ainsi une infrastructure de communications à la fois opérationnelle et relativement sûre et discrète.

Ce procédé permet ainsi à tout leader d'Al-Qaeda disposant d'une connexion Internet de s'adresser par radio à des terroristes répartis aux quatre coins du monde. L'individu n'ayant besoin d'aucun matériel spécifique, il peut ainsi être très mobile et déjouer toute surveillance éventuelle. Il sera donc très difficile pour un service spécialisé d'intercepter ses communications

Cette découverte confirme qu'Al-Qaeda utilise des moyens de communications radio traditionnels, des moyens maintenant abandonnés par la plupart des organismes officiels, y compris les services d'écoutes. Preuve en est le dernier mini-scandale des écoutes illégales ordonnées par George Bush dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il s'agit presque exclusivement d'écoutes téléphoniques, un procédé qui ne semble plus avoir la faveur des terroristes potentiels. Le fait de délaisser les écoutes radioélectriques classiques au profit de l'interception de satellites a laissé une faille dans laquelle semble s'être engouffré Al-Qaeda.

L'utilisation offensive des interceptions

Cependant ne noircissons pas trop le tableau. Il existe quelques services qui, s'ils sont toujours un peu sourds lorsqu'il est question d'écouter les ondes courtes, ont su utiliser l'interception des téléphones cellulaires ou des communications par sattellites à des fins beaucoup plus offensives que la simple écoute.

Citons pour exemple les services israéliens qui, en 1996, ont éliminé l'artificier du Hamas, Yeyia Ayache, grâce à son GSM. Après avoir mis hors service sa ligne fixe, les Israéliens l'ont forcé à utiliser son portable préalablement piégé. Après avoir identifié sa voix, ils ont déclenché à distance l'explosion de son appareil, le tuant sur le coup.

Les Russes ne sont pas en reste, puisque quelques mois plus tard, ce fut au tour du président indépendantiste tchétchène, Djokhar Doudaev, de subir un sort semblable. Utilisant un téléphone satellitaire, il fut localisé par les services de Moscou qui déclenchèrent aussitôt un raid aérien sur sa position. Il fut tué lors de cette attaque.

Gageons que si la chute de l'Union Soviétique a révolutionné la politique mondiale des interceptions, le 11 septembre 2001 aura un effet similaire. Espérons que ce tragique évènement ouvre un peu plus les yeux des décideurs et les encourage à prendre en compte l'avis des spécialistes confrontés quotidiennement à la réalité du terrain.

Alain Charret
Rédacteur en chef de la lettre électronique Renseignor, chercheur associé au CF2R
Janvier 2006

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